C. Ferrata: La fabbricazione del paesaggio dei laghi

Cover
Titel
La fabbricazione del paesaggio dei laghi: giardini, panorami e cittadine per turisti tra Ceresio, Lario e Verbano.


Autor(en)
Ferrata, Claudio
Erschienen
Bellinzona 2008: Edizioni Casagrande
Anzahl Seiten
Preis
213 S.
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
François Walter

Partant de l’hypothèse selon laquelle le tourisme développe des formes spécifiques d’inscription dans le territoire (ce qu’on appelle la territorialisation), l’auteur nous décrit le processus de «fabrication» d’un paysage, répondant aux nouveaux usages induits par les pratiques du voyage et du séjour dans la région des lacs insubriens.

Après un chapitre théorique sur lequel il faudra revenir car il a des implications fortes sur les choix logiques, l’auteur examine successivement cinq thèmes: le mode d’urbanisation lié au tourisme, le décor végétal qui lui est associé, l’importance du regard sur le paysage, la valorisation des conditions climatiques et le rôle de la vitesse de déplacement dans la constitution du regard. Pour en rendre compte, nous ne suivrons pas forcément l’ordre des chapitres parce que ceux-ci manquent souvent de rigueur chronologique, ce qui enlève une certaine force à la démonstration, du fait du télescopage temporel des nombreuses informations rapportées par l’auteur.

Il convient tout d’abord de rappeler que la région des lacs est accessible de manière très différenciée. La partie sud du lac Majeur et les îles Borromée jouissent d’une certaine renommée déjà au xvIIIe siècle puis deviennent un haut lieu du voyage, un site quasi obligé à l’époque du romantisme. Le lac de Côme attire les résidences de l’élite lombarde déjà sous l’Ancien Régime. Remarquons aussi que la première autoroute d’Europe est le tracé Milano-Laghi dont un tronçon atteint varese en 1924 puis Sesto Calende en 1925. Quant aux régions suisses du lac Majeur et du lac de Lugano, elles s’ouvrent véritablement avec le chemin de fer qui les intègre dans les grandes voies de transit Nord-Sud. Ainsi Locarno est déjà reliée par bateau au circuit du lac Majeur par le sud quand le train arrive jusqu’à Arona en 1855. Elle bénéficie surtout de son raccordement à Bellinzona en 1874 tout comme Lugano, en attendant l’ouverture complète de la ligne du Gothard (1882), qui met sur orbite ces deux sites naturels exceptionnels. à Lugano, le premier grand hôtel date de 1855 (l’Hôtel du Parc). Bientôt, c’est tout le golfe qui est transformé par l’édification des hôtels, l’aménagement des quais (entre 1860 et 1910) et la construction de villas luxueuses dans tout l’espace suburbain.

Le passage des voyageurs suscite, en effet, toute une infrastructure hôtelière. Le Tessin compte 20 alberghi en 1880 et plus de deux cents en 1912. Il s’est essayé au tourisme alpestre avec relativement peu de succès dans le val Maggia (glacier de Basodino), plus de réussite à Faido, véritable station d’altitude au début du xxe siècle (avec l’imposant Hôtel Suisse sur la place de la gare), et un grand essor dans le tourisme de cure, le type Kurhaus et sanatorium, à Quinto, Agra, Cademario, Orselina, Medoscio… Ainsi, dès le début du xxe siècle, les régions des lacs participent à la vogue néo-hippocratique qui attribue des vertus thérapeutiques au séjour climatérique. Sur ce thème, l’ouvrage de Claudio Ferrata manque de précision. Il évoque à juste titre un processus d’invention du climat en montrant l’instrumentalisation des observations météorologiques qui valorisent le séjour d’hiver, lancent le mythe du Tessin «Sonnenstube» de la Suisse (on aimerait savoir comment et depuis quand?) et formalisent les vertus du «clima insubrico» (mais quelle est l’origine de cette expression consacrée?). On sait que le «laghismo», cette valorisation de la nature sublime des lacs, est lié à la sensibilité romantique qui a mis en valeur la luminosité extraordinaire de la région et la violence des météores (avec ses vents soudains, ses épisodes brusques et tempétueux) au début du xIxe siècle. Sa variante cénesthésique qui implique la mobilisation de tous les sens est plus tardive. On se baigne dès la fin du xIxe siècle mais l’hédonisme de la plage et la mode de l’hydrothérapie se répandent surtout dans les années 1920 (le superbe aménagement du bagno spiaggia de Lugano date de 1928).

Les meilleurs chapitres du livre concernent moins les aspects architecturaux et urbanistiques (un peu trop sommairement évoqués) que la construction d’un décor paysager à travers les parcs et jardins. Les îles du lac Majeur ont très tôt constitué des lieux privilégiés pour l’acclimatation des plantes exotiques en Europe. Le processus de croisement et hybridation qui rend possible la pérennité des variétés sub-tropicales rapportées par les explorations dans les mers du sud au xvIIIe siècle a dû être longuement expérimenté. C’est ce qu’a tenté la baronne de Saint-Léger aux îles Brissago dès 1885. C’est là qu’est planté le premier palmier à la fin du siècle alors qu’on transforme le site selon les principes de l’esthétique des jardins à l’anglaise avec des «folies» (pavillons, statues, fontaines, grottes artificielles) et des réseaux de chemins sinueux, traversant des massifs et bosquets de plantes non autochtones (palmiers, cyprès, eucalyptus, agrumes, agaves…). D’autres propriétaires de parcs (le parco Ciani à Lugano au xIxe siècle, le parco Scherrer à Morcote durant les années 1930) investissent dans cette esthétique paysagère, imités par les municipalités. Le décor paysager de végétation exubérante, de fleurs et de senteurs exotiques est désormais constitutif de l’image du Tessin. Des animaux emblématiques s’y ajoutent, tel le cygne: «Un lago senza cigni è come una notte senza luna» estime le «Corriere della Sera» dans un article de 1934. Ce volatile d’origine subpolaire est acclimaté dans les parcs dès le xvIIe siècle. On en trouve au bord du lac des Quatre-Cantons déjà en 1680. Il semble qu’à Lugano, les premiers cygnes aient été amenés après 1860. Mais c’est durant les années 1920-1930 qu’on en peuple systématiquement les bassins lacustres. Pour exister, ce décor se doit d’être vu. C’est la raison d’être de la conquête de la surface des lacs par la navigation. Un bateau à vapeur circule sur le lac Majeur dès 1826 et régulièrement sur celui de Lugano dès 1856. Très tôt, ce circuit lacustre se complète par le rituel de l’ascension des belvédères (Monte San Salvatore, Monte Generoso et Monte Brè). D’abord on y grimpait péniblement à pied. Tout change avec la construction de funiculaires qui rendent accessibles les panoramas dont les cartes postales et les vues cavalières diffusent partout l’extraordinaire étendue.

Selon Claudio Ferrata, la formalisation de ce paysage appartient à un auteur célèbre, Hermann Hesse, dans la mouvance des colonies d’artistes qui se sont installées au Tessin (comme ceux du mouvement dit de «Lebensreform» au Monte verità). Dans un bref récit de 1925, Die Fremdenstadt im Süden, Hesse constate comment les rives des lacs tessinois composent un véritable dispositif géographique à l’intention des voyageurs. Celui-ci incarne la réalisation idéale du désir de vacances et de nature qui motive l’habitant des grandes villes d’Europe. Lugano surtout mais toutes les cités des lacs – elles sont interchangeables sur ce registre –, visualisent un «sud authentique» de petites villes pittoresques agrémentées de palmiers et de citronniers se mirant dans le bleu des eaux. Si le dispositif fonctionne, c’est qu’il a su allier à ce pittoresque toutes les commodités de la civilisation urbaine moderne avec ses grands hôtels luxueux et cosmopolites, et ses infrastructures efficaces de transports de plus en plus rapides qui mettent les lacs à proximité des grandes métropoles européennes.

Claudio Ferrata n’est pas historien et l’on aurait tort de lui reprocher un certain manque d’attention à l’enchaînement des séquences chronologiques qui reste trop flou à notre gré. Plus grave est le manque d’attention à la nécessité d’une contextualisation rigoureuse qui devrait servir de fondement à l’interprétation. Ces lacunes se lisent d’emblée dans le chapitre théorique qui ouvre son livre. Autant souscrira-t-on aux considérations de bonne méthode selon lesquelles le paysage n’est jamais donné mais toujours construit, autant nous faut-il déplorer le parti pris, inspiré par Eugenio Turri (un auteur qui a introduit la vision culturaliste du paysage en Italie), de considérer le paysage comme une «scène de théâtre». Cette aporie initiale dans laquelle s’enferme l’auteur a des conséquences dommageables pour la démonstration, malgré les potentialités novatrices du projet. Le paysage ne peut être un inerte plancher de théâtre puisqu’il procède lui-même d’interactions continuelles entre les ressources naturelles et la lecture qu’en font les hommes! Obsédé par l’approche culturaliste du paysage, l’auteur se complaît dans une approche relativiste qui réduit le paysage à n’être qu’un regard sur le monde. Paradoxalement, cette approche subjectiviste développée dans le premier chapitre le fait passer à côté de l’essentiel qui est la différenciation sociale du regard. Faire l’histoire du paysage dans l’art, dans la pensée géographique et dans le projet d’architecture est un exercice académique qui n’a guère d’utilité ensuite dans la démonstration. En effet, la théorie n’est que rarement utilisée pour faire avancer l’analyse. Mais l’absence des acteurs est consternante. Curieusement, Ferrata le constate lui-même en terminant paradoxalement par des considérations banales sur le rôle de la géographie et une citation sur l’importance de l’homme-habitant, précisément celui qui est totalement absent de ce livre!

Des paragraphes théoriques mal intégrés (sur la polysensorialité, sur les effets de la vitesse), des remarques lyriques sur le rôle de l’architecte comme médiateur entre l’homme et la terre sont des scories dommageables dans un livre d’un intérêt majeur pour la compréhension de ce qu’est aujourd’hui le Tessin. Il reste à reprendre la question en analysant plus finement le rôle des acteurs: qui sont les porteurs de l’esthétique paysagère qui transforme le paysage des lacs? quel est le rôle des responsables locaux, des municipalités, des artistes, des professionnels de l’aménagement? comment s’articulent les attentes extérieures des voyageurs et les perspectives de développement que ne manquent pas d’entrevoir les acteurs locaux? quels effets en retour s’exercent sur la population locale qui doit essayer de correspondre aux stéréotypes projetés sur l’environnement insubrien? Toutes ces questions restent sans réponse dans le livre de Claudio Ferrata qui a le mérite d’ouvrir l’intérêt pour ce champ et nous donne les premiers éléments d’une enquête à poursuivre absolument.

Citation:
François Walter: Rezension zu: Claudio Ferrata, La fabbricazione del paesaggio dei laghi: giardini, panorami e cittadine per turisti tra Ceresio, Lario e Verbano, Bellinzona, Casagrande, 2008, pp. 213. Zuerst erschienen in: Archivio Storico Ticinese, Nr. 146, 2009, S. 363-365.

Redaktion
Veröffentlicht am
17.10.2011
Beiträger
Redaktionell betreut durch
Kooperation
Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
Weitere Informationen
Klassifikation
Region(en)
Mehr zum Buch
Inhalte und Rezensionen
Verfügbarkeit